October 1, 2024
The Empowerment Initiative

Les Programmes de reconnaissance en entreprise : Freins psychologiques ou leviers d'Empowerment ?

Cet article examine les limites psychologiques des programmes de reconnaissance des employés, souvent perçus comme inefficaces pour l'empowerment. Basé sur la théorie de la reconnaissance d'Axel Honneth, il met en avant que ces programmes peuvent réifier la reconnaissance en la réduisant à de simples transactions symboliques, altérant ainsi l'autonomie et l'estime de soi des employés. De plus, les récompenses monétaires tendent à diminuer la motivation intrinsèque à long terme, créant un sentiment d’aliénation. L'article propose de repenser les ERPs pour favoriser l’autonomie, le développement personnel et le bien-être, en valorisant la reconnaissance collective et les opportunités de croissance.

Guide pratique
Théorie
Les Programmes de reconnaissance en entreprise : Freins psychologiques ou leviers d'Empowerment ?

PARTIE 1 : LES LIMITES PSYCHOLOGIQUES DES PROGRAMMES DE RECONNAISSANCE ACTUELS

 

Les programmes de reconnaissance des employés (Employee Recognition Programs, ou ERPs) sont de plus en plus répandus dans les organisations modernes, promus comme des outils efficaces pour renforcer l'engagement des employés et améliorer leur performance. Toutefois, une analyse critique des ERPs, fondée sur la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth, révèle que ces programmes ne remplissent pas nécessairement leur promesse de valorisation, et peuvent même parfois être contre-productifs sur le plan de l’empowerment. Psychologiquement, ces programmes tendent à être limités par plusieurs facteurs qui influent sur la manière dont les employés perçoivent et intègrent la reconnaissance dans leur identité professionnelle et personnelle.

 

1.1. Réification et instrumentalisation de la reconnaissance

 

La réification se réfère à un processus par lequel les relations humaines et les attributs personnels sont transformés en objets ou en propriétés échangeables. Dans le cadre des ERPs, la reconnaissance est souvent réduite à un symbole, comme un trophée ou un badge, sans réelle valeur intrinsèque. Cette objectivation dénature la reconnaissance en la transformant en une simple transaction entre l'organisation et l'employé, où la valorisation n'est plus perçue comme une interaction humaine authentique, mais comme une marchandise. Selon Honneth, cette dynamique affaiblit l’essence même de la reconnaissance, qui devrait reposer sur des relations intersubjectives d’estime mutuelle (Honneth, 1996). La réification peut créer un sentiment de distanciation et d’aliénation chez l’employé, qui ne se sent plus reconnu en tant que personne, mais comme une ressource à exploiter.

 

1.2. Effets sur l’autonomie et l’identité des employés

 

Les ERPs peuvent également avoir un impact négatif sur l’autonomie psychologique des employés. En récompensant des comportements spécifiques et en soulignant des critères de performance prédéfinis, ces programmes renforcent une forme de conformisme organisationnel. Les employés peuvent se sentir poussés à ajuster leur comportement pour se conformer aux attentes organisationnelles, même si cela va à l’encontre de leurs propres valeurs ou aspirations professionnelles. Cette pression d'identification forcée peut conduire à une forme de « compelled over-identification », où l'employé finit par se dévaloriser et renoncer à ses propres désirs au profit des objectifs organisationnels (Honneth,2012). Le résultat est une perte de l’estime de soi et une incapacité à se percevoir comme un acteur autonome au sein de l'organisation.

 

1.3. La Limite de la valorisation financière dans la motivation intrinsèque

 

Les recherches en psychologie organisationnelle montrent que les incitations financières, bien qu'efficaces à court terme pour stimuler la productivité, ne parviennent pas à nourrir une motivation intrinsèque durable. Selon Deci, Koestner et Ryan (1999), l’utilisation de récompenses monétaires tend à diminuer la motivation intrinsèque des individus en déplaçant leur attention de la satisfaction d’accomplir une tâche pour son propre intérêt vers le désir d’obtenir une récompense (Deci, Koestner, & Ryan, 1999). Cela peut entraîner un effet paradoxal : alors que les employés peuvent initialement être incités à améliorer leur performance pour obtenir des primes, la dépendance à ces incitations peut éroder leur plaisir de s'engager dans le travail pour des raisons intrinsèques, telles que le développement de compétences ou le sens de l'accomplissement personnel. En d'autres termes, l'argent devient un facteur de démotivation lorsque les employés ne ressentent plus de lien entre leur travail et leurs valeurs personnelles, réduisant ainsi l'efficacité des ERPs centrés sur les récompenses monétaires à long terme (Frey & Jegen, 2001).

 

1.4. Symbolisme vs. Réalité : Le décalage entre les promesses et les pratiques

 

Les ERPs sont souvent présentés comme un moyen de valoriser les compétences et l’engagement des employés. Cependant, en se concentrant sur des récompenses principalement symboliques (remerciements verbaux, e-mails de félicitations), ces programmes manquent de substance. Les employés peuvent percevoir ce décalage comme une reconnaissance « superficielle » ou inauthentique. Cela est particulièrement vrai lorsque ces programmes ne s’accompagnent pas de mesures concrètes telles que des opportunités de développement professionnel, de promotions ou d’améliorations des conditions de travail (Pfeiffer, 2016). Ce manque de reconnaissance tangible peut générer de la frustration et conduire à une détérioration de la motivation intrinsèque, les employés se sentant utilisés plutôt que réellement valorisés.

 

 

 

PARTIE 2 :REPENSER LES PROGRAMMES DE RECONNAISSANCE POUR FAVORISER L’EMPOWERMENT

 

Pour que les ERPs contribuent réellement à l’empowerment des employés, ils doivent être redéfinis en intégrant des éléments qui valorisent l’autonomie, la collaboration, le sentiment de compétence et d'influence et le développement personnel. Voici plusieurs pistes permettant d’élaborer des programmes de reconnaissance plus adaptés :

 

2.1. Promouvoir l’autonomie et la participation active

 

Les programmes de reconnaissance doivent inclure des mécanismes qui permettent aux employés de prendre des décisions concernant leur travail. Cela peut se traduire par des projets autogérés, des responsabilités accrues ou des opportunités de proposer et d’expérimenter de nouvelles idées. Par exemple, au lieu de récompenser uniquement la conformité aux attentes, les ERPs pourraient valoriser la prise d'initiative et la capacité à proposer des solutions innovantes qui bénéficient à l'organisation (Pink, 2009).

 

2.2. Reconnaître les accomplissements collectifs

 

Pour contrer l’individualisme exacerbé par les ERPs traditionnels, il est essentiel d’inclure la reconnaissance des contributions collectives. Les programmes peuvent encourager les succès d’équipe, la collaboration inter-départementale, et la solidarité entre collègues. Cela permet de renforcer le sentiment d’appartenance et de créer une culture organisationnelle plus solidaire, où la réussite collective est valorisée autant, sinon plus, que les performances individuelles (Brun & Dugas,2008).

 

2.3. Associer la reconnaissance à des opportunités réelles de développement

 

Au lieu de se contenter de reconnaissances symboliques, les ERPs devraient offrir des opportunités réelles de développement professionnel et personnel. Cela pourrait inclure l’accès à des formations, des mentors, ou encore des projets qui permettent aux employés de mettre en œuvre les compétences pour lesquelles ils sont reconnus. Par exemple, un employé reconnu pour ses capacités de leadership pourrait se voir offrir la gestion d’un projet pilote (Cerasoli, Nicklin, & Ford, 2014).

 

2.4. Adopter une reconnaissance holistique

 

La reconnaissance doit aller au-delà du cadre professionnel et intégrer le bien-être global de l’employé. Les programmes pourraient inclure des initiatives de soutien au bien-être mental, des programmes de gestion du stress, ou des mesures de soutien à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Cela montre aux employés que l’organisation valorise leur bien-être en tant qu’individus, et pas seulement leur contribution au travail (Dutton, 2003).

 

2.5. Valoriser la reconnaissance mutuelle et le feedback horizontal

 

Un environnement dans lequel les employés peuvent se reconnaître mutuellement est essentiel pour développer une culture de soutien et de feedback constructif. Encourager les pairs à reconnaître les contributions les uns des autres favorise un climat de collaboration et diminue la hiérarchisation excessive de la reconnaissance. Les ERPs peuvent inclure des plateformes où les employés partagent leurs appréciations, créant ainsi une dynamique de reconnaissance plus authentique (Kark & Carmeli, 2009).

 

2.6. Alignement sur les aspirations personnelles

 

Les ERPs doivent être suffisamment flexibles pour s’adapter aux aspirations personnelles de chaque employé. Par exemple, certains employés pourraient préférer des reconnaissances en termes de responsabilités accrues, tandis que d’autres pourraient valoriser des aménagements de temps de travail ou des opportunités de formation. En rendant les programmes de reconnaissance plus personnalisables, l'organisation montre une attention véritable à l'épanouissement de chacun de ses membres (Gagné & Deci, 2005).

 

CONCLUSION

 

Les programmes de reconnaissance actuels, bien qu'intentionnés, ne répondent pas toujours aux attentes en matière d’empowerment des employés en raison de leur nature souvent symbolique et instrumentale. Pour les rendre plus efficaces, il est crucial de les repenser en mettant l’accent sur des approches qui valorisent réellement l’autonomie, la participation et le bien-être des employés. En intégrant des éléments concrets de développement personnel, une reconnaissance collective, et une approche holistique, les ERPs peuvent devenir des leviers d’empowerment authentiques, contribuant ainsi à une culture organisationnelle plus inclusive et stimulante pour tous.

 

Références :

 

1.       Deci, E. L., Koestner, R., & Ryan, R. M. (1999). A meta-analytic review of experiments examining the effects of extrinsic rewards on intrinsic motivation. Psychological Bulletin, 125(6), 627-668.

 

2.       Hancock, P. (2024). Employee recognition programmes: An immanent critique. Organization, 31(2), 381-401.

 

3.       Honneth,A. (1996). The struggle for recognition: The moral grammar of social conflicts.MIT Press.

 

4.       Honneth,A. (2012). The I in we: Studies in the theory of recognition. Studies in Social and Political Thought, 20, 3-17.

 

5.       Klikauer,T. (2016). Critical management studies and recognition theory: Incorporating sociology into CMS. Journal of Economic Psychology, 55, 39-49.

 

6.       Pfeiffer,S. (2016). Managing employee recognition: Theory and practice. Human Relations, 69(1), 153-176.